féerie

féerie et féerique Ces deux mots, dérivés de fée, s’écrivent avec un seul é et se prononcent [feʁi] et [feʁik], c’est-à-dire respectivement comme ferry et ferrique, malgré l’usage qui tend à les déformer en *féérie et *féérique.


 C’est d’abord la poésie qui nous renseigne sur la prononciation de féerie. L’ancienne graphie faerie comptait tantôt trois syllabes tantôt deux, le mot étant alors prononcé « féri »1. Féerie lui-même est assez rare en poésie. Pierre-Valentin Berthier et Jean-Pierre Colignon nous expliquent pourquoi :

Les poètes classico-romantiques évitaient d’employer ce mot, qui, selon eux, à cause de l’e muet intercalaire, eût comporté trois pieds (fé-e-rie) dont un imprononçable, celui du milieu ; ils n’avaient pas la ressource, comme dans engouement ou dans tuerie, de supprimer l’e médial et de le remplacer par un accent circonflexe sur la voyelle précédente, puisque le premier e de féerie a déjà un accent aigu. Ils se résignaient donc à ne pas utiliser le mot en poésie.

Pierre-Valentin Berthier et Jean-Pierre Colignon, Lexique du français pratique.

Cette affirmation est à nuancer. En effet, féerie apparaît parfois sous la forme fêrie et plus souvent sous sa forme habituelle, car « l’e muet, qui est nul pour l’oreille, ne fait pas une syllabe en poésie », précise L.-J.-M. Carpentier dans Le Gradus français (p. 15). C’est ainsi qu’on relève le terme en 1756 avec la graphie fêrie :

La victoire a séché vos larmes,

À l’Hymen prodiguez vos charmes :

Donnez-nous des Héros qui guident nos soldats.

Votre sang leur donnant la vie,

Vaudra tous les dons de Fêrie :

Cet Oracle est plus sûr que celui de Calcas.

Germain-François Poullain de Saint-Foix, « À Madame d’Egmont », Mercure de France, p. 191.

Et en 1782 avec la graphie féerie :

Et les temps, les climats, vaincus par des prodiges,

Semblent de la féerie épuiser les prestiges.

Jacques Delille, Les Jardins, ou l’Art d’embellir les paysages, chant II, p. 49.

Les plus grands poètes ont donc utilisé féerie et féerique.

D’une main accoudée, heureuse en ta mollesse,

De l’haleine du soir tu fais ton éventail ;

La lune glisse au bord des feuilles et caresse

D’un féerique baiser ta bouche de corail.

Leconte de Lisle, « Nurmahal », Revue contemporaine, 2e série, vol. I, p. 915.

Ce sera comme quand on rêve et qu’on s’éveille !

Et que l’on se rendort et que l’on rêve encor

De la même féerie et du même décor,

L’été, dans l’herbe, au bruit moiré d’un vol d’abeille.

Paul Verlaine, « Kaléidoscope », Jadis et naguère, p. 14.

Lorsqu’un poète fait de féerie un mot trisyllabique, il est aussitôt corrigé :

Je ferai aussi le procès à quelques vers faux. Les règles de quantité pour les diphtongues ont été clairement exposées dans l’ouvrage de M. de Gramont sur les vers français, et c’est violer des lois ayant vigueur que de donner (v. 27) trois syllabes à fé-e-ries ; féerie est dissyllabe. Un certain nombre d’écrivains s’astreignent même à supprimer l’e muet dans les mots où il se trouve après une voyelle et à les écrire ainsi : fêrie, paîment, je prîrais, etc. ; précaution qui n’est pas inutile pour le lecteur, dit M. de Gramont, dans un pays où l’on peut avoir fait toutes ses classes sans savoir le premier mot de la versification française.

« Rapport sur le concours de poésie de l’année 1883-1884 », Mémoires de l’Académie de Metz, 65e année, 3e série, p. 32.

Si le Dictionnaire grammatical de Féraud ne semble pas faire du e médian un e muet, les usuels du xixe siècle donnent tous la prononciation « férie ».

La prononciation « féérie », quant à elle, est difficile à dater. Elle est sans doute antérieure à la graphie féérie, attestée dès 17452. Dans son Traité de l’orthographe franc̜oise, Charles Leroy indique que le é du mot est long. Cette longueur de la voyelle accentuée a dû, au fil du temps, entraîner le doublement de celle-ci. C’est au xxe siècle que la prononciation et la graphie fautives semblent s’être propagées. Cela fait pester Alexandre Vialatte dans une chronique du 18 octobre 1955 à La Montagne.

D’abord, on n’écrit pas féérique mais féerique, sans accent sur le second e ; et on prononce férique, comme dans téléférique. En prosodie, le mot féerie a deux pieds comme ma grand-mère, et non trois comme l’escabeau. Si le second e devait être prononcé, on écrirait féhérie, féhérique, de même qu’on écrit Téhéran. Voilà la chose. Pourquoi j’en parle ? Parce que les revues les plus distinguées se mettent à étaler la faute en grosses lettres, en capitales Didot, sur une couverture bleue. Où allons-nous ?

Alexandre Vialatte, « Crâne et paradis », Chroniques de « La Montagne », vol. I (1952-1961), p. 322-323.

L’Académie française, dans la 9e édition de son dictionnaire, précise ainsi que « la prononciation fé-é-ri est d’usage », et Le Petit Robert admet dès 1993 la graphie féérie.

Sources :

  • Académie française, Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., 3 vol., Paris, Imprimerie nationale, Fayard, 1992-2011.
  • Berthier (Pierre-Valentin) et Colignon (Jean-Pierre), Lexique du français pratique, [Paris], Solar, DL 1981.
  • Carpentier (L. J. M.), Le Gradus français, ou Dictionnaire de la langue poétique, Paris, Alexandre Johanneau, 1822.
  • Delille (Jacques), Les Jardins, ou l’Art d’embellir les paysages, Paris, François Ambroise Didot l’Aîné, 1782.
  • Dupré (Paul), Encyclopédie du bon français dans l’usage contemporain, 3 vol., Paris, Éd. de Trévise, DL 1972.
  • Elwert (Wilhelm Theodor), Traité de versification française : des origines à nos jours, Paris, Klincksieck, 1965.
  • Girodet (Jean), Pièges et difficultés de la langue française [PDF], Paris, Bordas (coll. « Dictionnaire Bordas »), cop. 2007.
  • Grevisse (Maurice) et Goosse (André), Le Bon Usage, 14e éd., Bruxelles/[Louvain-la-Neuve], De Boeck/Duculot, cop. 2007.
  • Landais (Napoléon), Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires français, 2 vol., Paris, Bureau central, 1834.
  • Leconte de Lisle (Charles-Marie), « Nurmahal », Revue contemporaine, 1858, 2e série, vol. I.
  • Leroy (Charles), Traité de l’orthographe françoise, en forme de dictionaire, nouvelle éd. augmentée par Pierre Restaut, Poitiers, Jean-Félix Faulcon, 1775.
  • Littré (Émile), Dictionnaire de la langue française, 5 vol., Paris, Hachette, 1863-1877.
  • Noël (François-Joseph-Michel) et Chapsal (Charles-Pierre), Nouveau Dictionnaire de la langue française, Toul, Joseph Carez, 1826.
  • Nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (Le), sous la dir. de Josette Rey-Debove et Alain Rey, nouvelle éd. remaniée et amplifiée, Le Robert, DL 1993.
  • Poitevin (Prosper), Nouveau Dictionnaire universel de la langue française, 2 vol., Charles Reinwald, 1856-1860.
  • Roman de Partonopeu de Blois (Le), éd. et trad. Olivier Collet et Pierre-Marie Joris, Paris, Librairie générale française (coll. « Le Livre de poche. Lettres gothiques »), DL 2005.
  • Saint-Foix (Germain-François Poullain de), « À Madame d’Egmont », Mercure de France, août 1756 ; addendum à L’Oracle, Prault fils, 1740.
  • « Spectacles », Mercure de France, octobre 1745.
  • Verlaine (Paul), Jadis et naguère, Paris, Léon Vanier, 1884.
  • Vialatte (Paul), Chroniques de « La Montagne » (coll. « Bouquins »), éd. Pierre Vialatte, 2 vol., Paris, Robert Laffont, DL 2001.
  • Villon (François), Lais, Testament, Poésies diverses avec Ballades en jargon, éd. et trad. Jean-Claude Mühlethaler et Éric Hicks, Paris, Honoré Champion (coll. « Champion classiques. Moyen Âge »), 2004.
  • Vitu (Auguste), « Vocabulaire analytique du Jargon du xve siècle », dans François Villon, Le Jargon du xve siècle : étude philologique, Georges Charpentier, 1884.